Grenelle tribune octobre 2007
Le Grenelle est sarko-compatible ....mais le sarkozysme n'est pas écolo-compatible Dix bonnes raisons de faire un contre-Grenelle de l'environnement par Paul Ariès directeur de la rédaction du journal le Sarkophage
Nicolas Sarkozy est partout. Il voit tout. Il sait tout. Il supervise tout... Cette toute-puissance prêtée à notre Président omniprésent nous interdit de penser que le Grenelle de l'environnement puisse être autre chose que le Grenelle de Sarkozy... La grande question est donc de savoir si le sarkozysme serait, lui, écolo-compatible. Le Conducator de la France est certes suffisamment fin tacticien pour que cette opération politico-médiatique accouche aussi de quelques gadgets donnant l'illusion que le jeu était ouvert, que les décisions qui seront prises finalement par le pouvoir (et lui seul) étaient les meilleures (voir les seules possibles) et qu'elles feraient consensus parmi les gens sérieux. Le Grenelle officiel est donc d'abord une OPA de la droite sur l'environnement. C'est aussi une façon de délégitimer tous les opposants. Le réquisitoire du procureur Borloo est prêt : ceux qui ne communient pas dans l'Union sacrée autour de Sarkozy, sous prétexte d'environnement, seraient des fous dangereux... Ce n'est pourtant pas par sectarisme ou jusqu'au-boutisme qu'il faut condamner ce Grenelle des dupes mais parce que le sarkozysme est incompatible avec l'écologie...
Sarkozy voulait déplacer la ligne de fracture qui sépare ceux qui croient au caractère écolo-compatible du sarkozysme et ceux qui n'y croient pas, en opposant ceux qui sont au Grenelle et ceux qui n'y sont pas, parce que non convoqués ou refusant d'y être. Il faut au contraire rapprocher les opposants de l'extérieur et les dissidents de l'intérieur qui sont sans aucune illusion sur le caractère écolo-compatible du Sarkozysme. Nous devons à la fois dénoncer certains écologistes plus jaunes que verts et refuser tout ce qui pourrait empêcher de travailler ensemble (par delà les différences) à une véritable repolitisation de l'écologie et à la construction d'un rapport de force. Nicolas Sarkozy prétend faire de l'écologie en dehors de toute mobilisation sociale... Croire que l'effet médiatique du Pacte Hulot pourrait en tenir compte est une grave erreur et une supercherie car lui-même contribue largement à dépolitiser l'écologie. Le Grenelle de l'environnement est surtout parvenu jusqu'à ce jour à faire taire les dissensus et à réduire au silence les écologistes et environnementalistes honnêtes. Jusqu'où faut-il accepter d'être le marchepied de Nicolas Sarkozy ? Jusqu'où faut-il accepter de laisser croire qu'une écologie apolitique serait possible ? Jusqu'où rester sans claquer la porte... ni perdre pour autant son âme rebelle ? Le Grenelle de l'environnement sera sarko-compatible : qui pourrait en douter... Mais qui peut croire que le sarkozysme puisse être écolo-compatible ? On peut avancer aisément dix preuves contraires.
1) Le sarkozysme c'est la religion de la croissance et le culte du travail.
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible puisqu'il est la poursuite de la religion de la croissance et la réhabilitation comme jamais du culte du travail comme fondement de la vie. Les Français appartiennent majoritairement aux 20 % d'humains qui s'approprient 86 % des ressources alors qu'aucun rattrapage n'est possible, puisque si six milliards d'humains devaient partager notre mode de vie une seule planète Terre ne suffirait pas... La croissance économique n'est donc pas la solution pour la France. Laisser croire qu'une croissance infinie puisse être possible ou nécessaire c'est donc accepter que le capitalisme, et plus largement la société de consommation, perdurent et qu'ils déploient toujours plus leur logique mortifère jusqu'à la privatisation totale du vivant. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est le summum de l'anti-écologisme puisqu'il enferme chacun dans son rôle de forçat du travail et de la consommation. Il inverse ce qui est de l'ordre des moyens (l'économie) et des buts (le faire société). « Travailler plus pour gagner plus » ce sera toujours plus de production, toujours plus de consommation, toujours plus de destruction de la planète, pour toujours plus de profit pour les riches et de misère pour les pauvres.
2) Le sarkozysme c'est le déni de la situation environnementale
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible car son intérêt soudain pour l'écologie est démentie par ses premières mesures politiques concrètes mais aussi par l'analyse des soubassements théoriques de ce qui constitue sa pensée. Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible puisque ses arguments en matière d'écologie sont fondamentalement ceux des milieux néolibéraux mondialistes. Ils utilisent pour cela quatre cartouches pour abattre la véritable écologie. Première cartouche : le modèle de Hotteling, du nom de cet économiste connu pour ses travaux sur les systèmes de prix. Selon ses adeptes : il suffirait d'attribuer des valeurs monétaires aux nuisances de pollution. Les questions posées sont les suivantes : quel est le prix de la vie humaine (accidents de la route) ? Quel est le prix de la pollution sonore, visuelle, chimique ou de la disparition des espèces ? Les experts officiels ont déjà tranché en croisant plusieurs méthodes « scientifiques ». Parmi elles : l'estimation de la perte de ressource (le coût de la protection par exemple), l'observation des conséquences monétaires d'une pollution sur un autre marché, le prix que les consommateurs seraient prêts à payer pour un meilleur environnement, le montant des dommages et intérêts consentis par des tribunaux en cas de dommage. Deuxième cartouche : Le paradoxe de Jevons utilisé contre le Pic de Hubbert. Les sarkozystes en sont intimement convaincus, grâce au progrès technique, il y aura toujours plus de matières premières, car il serait possible de dé carboniser l'économie. Troisième cartouche pour abattre ceux qui proposent d'interdire les pollutions ou même de faire payer (modestement) les pollueurs : le fameux théorème de Coase, du nom du prix Nobel d'économie 1991, Ronald Coase, qui estime qu'il serait plus efficace de laisser polluer et pollueur négocier directement entre eux, plutôt que de faire intervenir l'Etat par le biais de la fiscalité ou, pire encore de la réglementation. Le Grenelle parle ainsi d'aller vers une agriculture où chacun choisirait de faire des OGM ou pas, avec la possibilité en cas de contamination de se retourner contre les pollueurs... Quatrième cartouche que ne manque jamais d'utiliser la grande prêtresse de l'écologie gouvernementale, la polytechnicienne Nathalie Kosciusko-Morizet : les fameuses courbes en cloche, grand classique de la pensée néolibérale selon lequel La croissance loin d'être le problème, serait la solution à ses propres dysfonctionnements. Le hic c'est que ce discours qui se fonde sur des études réalisées à partir de quelques exemples (et dont les conclusions ont été publiées avec toute la prudence nécessaire dans des revues scientifiques) généralise cette « loi » sans la moindre prudence à tous les polluants…On ne peut généraliser ces correspondances, s auf bien sûr à préférer l'idéologie à la science, la magie à la connaissance, le profit à l'humanité.
3) Le sarkozysme c'est le culte de la propriété privée et l'amour des riches
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible car il est une option préférentielle pour les riches alors qu'il ne peut y avoir de solutions à la crise environnementale qui ne soit aussi une solution à la crise sociale. On ne pourra en finir avec la domination de tous sur la planète sans remettre en cause parallèlement la domination de quelques uns sur tous les autres. Cet amour des riches n'est tout simplement pas écolo-compatible puisque le gâteau ne pouvant plus grossir la question fondamentale redevient celle du partage d'autres types de richesses : que produire pour quels types d'usages ? Que renchérir ? Qu'interdire ? La solution c'est donc toujours plus d'égalité et de démocratie, surtout pas toujours plus de propriété.
4) Le sarkozysme c'est le refus d'une redéfinition des normes juridiques.
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible car il représente la démission du politique devant les forces financières, c'est le choix de la déréglementation tout azimut. Le pape du libéralisme moderne, Pascal Salin, enfonce le clou : pas question de laisser se (re)développer un discours étatique au nom de la défense de l'écologie... Cette approche est celle du « Free Market Environment » qui entend démontrer que le marché serait plus compétent que le service public pour défendre l'environnement. Face aux lois qui viendraient interdire certaines activités ou produits, il propose donc cinq systèmes que le marché pourrait mettre en place afin de protéger l'environnement : la réservation, la loterie, la file d'attente, le mérite et le prix. On retrouve déjà cette foi dans les politiques incitatives par exemple en matière de réhabilitation de l'habitat ancien : mais qui peut croire que les propriétaires vont payer pour des investissements qui bénéficieront d'abord aux locataires ? Non seulement Sarkozy ne croit pas à la loi qui libère le plus faible mais pas davantage à celle qui « écologiserait » nos logiques économiques et nos comportements.
5) Le sarkozysme c'est le choix d'un monde unipolaire
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible puisqu'il symbolise le choix de généraliser à l'ensemble de la planète le système économique qui a fait faillite en Occident. Son discours de Dakar est à cet égard symptomatique de cette volonté de poursuivre l'occidentalisation du monde, de nier notre responsabilité dans le pillage de l'Afrique, de refuser d'annuler la dette du tiers monde et de méconnaître notre dette écologique. Le sarkozysme c'est le choix d'imposer une pensée unique et une économie unique, c'est le fait de sommer l'Afrique de choisir notre conception de l'histoire et de la nature...
6) Le sarkozysme c'est le choix d'une écologie soi-disant apolitique
Le sarkozysme n'est pas « écolo-compatible » puisque c'est le choix d'une écologie faussement apolitique car au service des mêmes logiques et dans l'intérêt des mêmes acteurs : Le sarkozysme voudrait faire croire que la crise environnementale permettrait une « union sacrée » pour défendre la planète alors que toute sa politique prouve que son objectif est de faire payer la crise écologique aux plus pauvres et aux plus faibles. L'écologie apolitique est un poison car l'écologie est toujours un choix de société : il y aura nécessairement des gagnants et des perdants : la question est de savoir qui…. Laissez croire que des solutions gagnant/gagnant existeraient c'est choisir le camp des dominants. Nous choisissons nous résolument le camp des dominés et des sans-voix.
7) Le sarkozysme c'est le refus d'une vraie démocratie
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible car l'écologie c'est toujours plus de démocratie pour rendre aux individus et au peuple la maitrise de leurs usages. Une écologie véritable ne peut donc qu'être démocratique dans ses fins et ses moyens. Convoquer un soi-disant Grenelle en dehors de toute mobilisation sociale est une arnaque qui vise à faire avaliser les points de vue et les intérêts des dominants, c'est aussi, sous prétexte de réalisme et de consensus, faire des adversaires des gens dangereux... Laisser croire que ce Grenelle serait démocratique alors que des questions sont taboues, que des acteurs ont été oubliées, que les grandes décisions, par exemple en matière de tout-nucléaire, sont déjà prises est une insulte à la démocratie. Ce Grenelle a le goût de la négociation, la couleur de la négociation mais ce sera finalement une chambre d'enregistrement des options politiques, économiques et techno scientistes.
9) Le sarkozysme c'est la victoire poursuivie de la « techno-science »
Le sarkozysme n'est pas écolo-compatible car il profite du climat politique pour imposer le retour au « tout-nucléaire » mais aussi la marche forcée vers les biotechnologies (dont les agro-carburants et les OGM) et les nanotechnologies. C'est un recul considérable de la pensée écologique telle qu'elle s'est forgée depuis trente ans et le symptôme de la reconquête idéologique réalisée par les milieux techno-scientistes, médiatiques, politiques et financiers dominants.
10) Le sarkozysme c'est le mensonge d'un « capitalisme vert »
le sarkozysme n'est pas écolo-compatible puisque c'est la promotion d'un pseudo « capitalisme vert » qui est la solution inventée par le système productiviste pour tuer dans l'œuf toute véritable opposition et réussir dans le domaine de l'environnement ce que les milieux d'affaires ne sont jamais parvenus à faire dans le domaine social au 19e et au 20e siècles c'est-à-dire imposer leur point de vue y compris aux dominés...
Voilà les dix raisons pour lesquelles les citoyens doivent construire un nouveau rapport de force politique afin de faire triompher dans les têtes et dans les faits une véritable écologie politique capable de concilier les contraintes environnementales et le souci de justice sociale par un retour au politique.
Paul Ariès
Organisateur du Contre-Grenelle de Lyon du 6 octobre 2007 auteur de La décroissance : un nouveau projet politique (Golias, octobre 2007) Directeur du journal le sarkophage |